Rennes-Montréal : FINAL

Ici à Rennes, tout va bien.

Les photographes de la bande exposent leurs photos à la Cour des miracles. Les manifs ont continué. La mairie n’a pas brûlé. Les travaux place Sainte Anne et leur barricade. L’unique rame de métro qui tourne en boucle. Les sandwicheries et les vendeurs de café…

Ça vient de chez vous là-bas les vendeurs de café aux quatre coins de rue. Quand j’étais plus jeune y avait pas de vendeurs de café… si ? On allait boire notre café dans un bistrot, en terrasse, en fumant nos premières clopes, soufflant la fumée par le nez pour feindre l’habitude.

Les punks sont toujours là… ils ont beau vouloir les déloger, les virer à coups de pompes ou d’autres choses, ils sont toujours là. Une ville ne se défait pas comme ça de ses habitués.

Rennes gronde toujours. Pas que dans les manifs. Mais à la fac aussi, dans les bars, sur les trottoirs, dans les librairies… partout Rennes gronde. Ça se voit sur leur visage aux rennais… y a de l’énigme dans les yeux… de la révolte dans la voix… on ne se défait pas comme ça de ses habitudes.

Le radeau utopique à dressé les voiles le week-end dernier. Direction, Saint Malo… Mais surtout Utopia.

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Utopia, Utopia, Utopia… Utopia is nowhere… it means nowhere… nowhere disait un vieil homme, grec je crois, dans un documentaire participatif sur les utopies. Et sur Rennes et alentours pourtant naissent les nulle-part, ces petites bulles d’extravagance, de rêve, d’essayage en tout genre, de culture du commun et de l’entraide, de retour à la terre… On ne se défait pas comme ça de l’espoir.

Toujours ses festoches d’été aussi. Comme partout… Les tombées de la nuit vont commencer. J’y emmènerai mon fils. 1 an bientôt. Je lui montrerai les parcs sans sommeil quand Rennes ne veut pas dormir. Les terrasses gonflées. Et les murs des chiottes des bistrots où sont placardées des affiches de concert, de musique bretonne, de mouvement breton. On ne se défait pas comme ça d’une histoire.

Valls est tout rouge. Mais Valls jubile. Les étudiants vont bientôt rentrer dans leur famille, où rejoindre les plages bondées pour aller gagner du kopeck en faisant la plonge dans une crêperie. Finit les manifs qu’il se dit. Il se fourre le doigt… Les jeunes reviennent toujours. Même histoire que les flics casseurs… parce que les flics cassent… Valls est tout rouge et on s’en fout… C’est pour le bien du pays qu’il dit, il sait mieux, il sait mieux que le routier, que le cordiste, que l’ouvrière d’abattoir, que la femme de ménage, que le caissier, que la fonctionnaire lambda clouée sur sa chaise de bureau, que le prof aux deux mois de vacances, que  le secrétaire, il sait mieux que nous lui, mais il ne sait pas qu’on ne se défait pas comme ça de la liberté…

Je marchais dans la rue l’autre jour… c’était pas un jour de manif… les gens paraissaient bourrés d’entrain, je traverse une terrasse joyeuse, me plante devant une librairie, j’y vois des pamphlets, des récits, plus loin une poussette qui file à bout de main… poussée par un père, un vieux prof chevelu lit en terrasse, des jeunes déchargent leurs instruments d’une voiture pour jouer dans le bar d’en face… toute cette petite vie citadine, ces gens qui se côtoient, qu’arrivent, malgré tout, à vivre ensemble, quand je vois ça j’ai du mal à comprendre pourquoi on essaye toujours de nous faire croire le contraire… certainement pour nous empêcher d’avoir à vivre ensemble sans eux, sans tête, sans l’hydre dégueulasse…

On n’est pas prêt de s’arrêter de gueuler par ici, ni même de boire, de pisser dans la rue, de chanter, de parler breton ou gallo, d’emmerder le pouvoir et de battre pavé…

Alors ici à Rennes, tout va bien.


Ici, à Montréal, tout va bien.

Ainsi nous y voilà, c’est pas trop tôt après tout ce temps. Il a fallu de la patience… des efforts aussi ! Combien de mois déjà, combien de réveils, combien de sommeils ? De levers aux aurores ou de nuits en Picon, de travail impliqué, de déglingue serrée, d’arrachage de pavés pour une prise de conscience :

« Mon gars, crois-le ou non… Cette année le monde il va changer ».

Ton fils fête ses 1 an. Rennes-Montréal lui prend la tête et clôt sa seconde année. Au dehors des écrans, la vie s’anime, pose et s’examine, fête et célèbre l’arrivée de l’été, l’hiver enfin crevé. Au 1er juillet à Montréal, on déménage; et si on bat le pavé, c’est avant tout à coups de cartons. Année après année, la ville déroule un spectacle aussi soudain qu’attendu. Une chorégraphie de mules déguisées en camions endurent la journée long, l’asphalte morcelé, battent le sol de la ville sous les plombs de juillet. Meubles, bidules, babioles et bibelots sont brinquebalés de maisons en appartements, d’appartements en trottoirs, de trottoirs en maisons. Lorsque le 1er décline et que la chaleur s’effondre, une pluie éclate enfin pour abreuver les monstres-canapés, les lave-linge fatigués. Au crépuscule de ce jour férié, une lumière rase et distingue sur les trottoirs de la ville d’étonnantes silhouettes de meubles abandonnés, monstres « prêts-à-meubler » ou à jeter. Ici le 1er, c’est leur 14. « Tu sais, nous la reine… au Québec » me disait un ami, pas chauffé patriote. Mais si c’est le Québec que tu veux célébrer, remonte dans le temps, reviens 7 jours avant : le 24 juin, c’est la fête de la province, cela passe pour être plus sacré. Si j’ai une préférence, je la garde pour moi : les deux jours sont fériés.

Parfois je me demande ce que l’on fête : un drapeau ou des hommes, un territoire ou une idée ? Une histoire assurément, mais pour nombre d’entre nous, avant tout un présent. Partout autour du globe, les hommes célèbrent les routes qu’ils ont écrites le long de leurs rochers. Certains sont du 24, du 1er, du 4 ou du 14… D’autres capricorne, sagittaire ou bélier. Cela dépend de là où naît ton pied. Traditionnellement chez nous, le « territoire » et la « nation » se fêtent à la veille du 15, mais si cela avait été le 4, cela m’aurait convenu aussi.

D’ailleurs aujourd’hui nous sommes le 4 : jour de l’indépendance américaine, pan temporel durant lequel j’écris ceci. Moi qui suis un expatrié, j’avoue être perdu dans ce qu’il convient de fêter. Les consécrations nationales se propagent tel des rhumes d’été, et chaque année une même question revient alors, le morceau de terre où je suis né, est-il un « symbole » qui vaille à nouveau la peine d’être célébré ? Pourquoi fêter mon pays plutôt qu’un autre ? Est-ce pour sa politique ? Sans rire ? Alors, est-ce pour l’idée ? Pour la notion de citoyenneté ? Pour le rêve collectif ? Je pense que l’on fête surtout le symbole. Comme c’est ce qu’il y a de plus vague, c’est également ce qu’il y a de plus simple à célébrer. Mais un symbole, cela se manie avec précaution. Les plus fervents patriotes prennent bien souvent les traits des fanatiques aveugles. Leur société s’arrête à la carte des nations, à une représentation d’un monde limité aux frontières desquelles on distingue le citoyen de l’humain. Je suis pour la collaboration des êtres plus que pour le particularisme des nations. Au tracé, je préfère la rondeur. Par ailleurs, j’ai menti : nous sommes le 5 Juillet.

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Ne te fâche pas. D’autres vont la célébrer, cette journée-là. Lecteur de mon cœur, lorsque tu liras ce texte, nous serons (normalement) le 14 Juillet. Mon moi du 7, (celui collé à cette lourde et pesante journée où je t’écris cette phrase) souhaiterait interpeller son évolution du 14 pour lui demander, ceci :

                                                                         « Alors ? Okonomiyaki ?»

Ce n’est pas vraiment une question. Techniquement c’est même plutôt un plat. Un plat japonais qui plus est. Un plat qui ressemble vaguement à une omelette, à des lasagnes, ou à une maquette d’éruption volcanique bricolée par un gamin de 6ème. Il y a des algues dedans. Je n’en ai jamais goûté, mais paraît-il que c’est très bon. Ce plat aux descriptions multiples et à la composition variable soulève une épineuse question. N’ayant pas la moindre idée de celle-ci, je me laisse la journée pour la trouver.

Et nous voilà le 8 Juillet. Pas de fête nationale selon Wikipédia. Si nous patientons, et que tout va bien, demain nous serons le 9. À cette date, trois nations fêteront leur indépendance : L’Argentine, le Soudan du sud, et le Palaos. Il est 12h28 quelque chose comme ça.

On va attendre un peu…

Et nous voilà le 9. Il y a comme une sensation de célébration plus nette qu’hier, tu ne trouves pas ? Tout de suite cela parait clair. « L’Okonomiyaki » est une nation ! Un plat territoire à géographie mouvante, dont la carte varie dépendamment de l’assiette qui l’accueille, et des ingrédients qui la composent. Le mot signifie : « Ce que vous voulez » ou « Ce que vous souhaitez ». Preuve que la recette a de l’ouverture d’esprit. Le plat n’est pas figé, sa composition n’est pas gravée dans le marbre, elle n’est pas immuable. D’Osaka à Hiroshima, l’Okonomiyaki a de nombreuses variantes, c’est Wikipédia qui le dit. Au delà de son apparence informe, il tient sa richesse de sa diversité, non de son uniformité. L’Okonomiyaki est une table à laquelle bien des nations devraient aller manger.

Aujourd’hui le 14 Juillet, jour de fêtes et de défilés. Les célébrations du 10 viendront couronner au championnat d’Europe de foot, la victoire d’une nation sur une autre. Une fête nationale à géographie mouvante, ou le résultat sportif détermine qui des uns ou des autres, fêtera « son collectif ». Une célébration nationale enfermée dans une boîte, tel le chat de Schrödinger, à la fois mort et vivant.

Des symboles ou des faits, c’est encore la volonté qui définit l’idée.

Ici à Montréal, tout va bien.

 

 

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